Pocas palabras – 1941

En peu de mots

Música : Ricardo Tanturi – Letra : Enrique Cadícamo

Traduction : Michel Brégeon

No pretendo removerJe ne prétends pas remuer
las cenizas del ayer,Les cendres du passé
de ese ayer inolvidable…De ce passé inoubliable…
Sólo quiero hacerte verJe veux seulement te faire savoir
que aunque no lo quieras creerBien que tu ne veuilles pas le croire
hay amores imborrables…Qu’il y a des amours ineffaçables…
Después de tanto, vuelvo a hallarte,Après tant d’années, je te retrouve
¡y qué emoción siento al mirarte!Quelle émotion je ressens à te regarder !
Hay un loco palpitarIl y a un battement fou
en mi viejo corazónDans mon vieux cœur
y es que al fin te vuelvo a hallar…C’est qu’enfin, je te retrouve…
Pocas palabras, ¡vieja amiga!…En peu de mots, vieille amie !
Pocas palabras es mejor…En peu de mots c’est mieux
Ya ves… el mundo sigue igualTu vois… Le monde reste le même
sin nuestra uniónSans notre union
sentimental…Sentimentale…
Pocas palabras de lo de antes…Peu de mots sur ce passé…
No conversemos más de amor,Ne parlons plus d’amour 
de aquel amor que ya pasó,De cet amour d’hier 
pero que aúnMais qui n’est pas
no murió…Encore mort…

Versión 1941 :

Orchestre : Ricardo Tanturi – Chant : Alberto Castillo.

L’histoire

Nous sommes en 1941, le tango est à son apogée. Tous les orchestres vibrent encore sous l’impulsion rythmique insufflée quelques années plus tôt par Juan D’Arienzo.

Ricardo Tanturi s’était déjà fait remarquer en 1937 avec son premier enregistrement, « Tierrita » d’Agustín Bardi, à l’âge de 32 ans. Mais c’est en 1939 que sa renommée atteint des sommets lorsqu’il accueille dans son orchestre le chanteur Alberto Castillo. Véritable phénomène scénique, Castillo captive le public par son élégance, sa coiffure impeccablement soignée et son charisme unique. Diplômé en gynécologie, il alterne avec brio entre une énergie débordante et une intimité troublante, transformant chaque tango en un véritable spectacle. Séducteur tant par sa présence que par sa voix, il ne tarde pas à mériter son surnom de « La voz de fuego ».

En 1941, Tanturi enregistre « Pocas Palabras », un tango composé par lui-même avec des paroles d’Enrique Cadícamo. Celles-ci évoquent une rencontre entre deux anciens amants qui reconnaissent que, malgré le temps écoulé, leur amour passé n’est pas complètement éteint. Le refrain « Pocas palabras, vieja amiga, pocas palabras es mejor » (Peu de mots, vieille amie, peu de mots, c’est mieux) suggère qu’il est préférable de ne pas trop parler du passé, reconnaissant que le monde continue sans leur union sentimentale. 

Musicalement, ce tango suit une structure classique de l’époque (A-B-A-B-A), et Tanturi livre ici une composition à la fois simple et redoutablement efficace. Il s’appuie sur des phrases musicales courtes et percutantes, toujours portées par un rythme soutenu, avec un appui marqué du piano et des bandonéons.

L’introduction commence par deux accords du piano, suivis de deux sections instrumentales qui exposent les thèmes du morceau, mêlant mélodie et pulsation rythmique. Chaque section repose sur quatre phrases musicales de quatre mesures, soutenues par un marcato en 4 bien affirmé, régulièrement ponctué par des syncopes a tierra qui viennent briser la cadence et enrichir la dynamique musicale.

A 00:56,  le chant prend le relais, reprenant et sublimant ces motifs. Alberto Castillo insuffle ici une signature vocale unique, portée par son timbre légèrement nasillard et son style « arrabalero ». Sa maîtrise des nuances émotionnelles, alternant entre une narration subtile et des envolées passionnées, magnifie l’interprétation et donne aux paroles une profondeur saisissante.

Enfin dans une dernière section, les bandos reprennent le premier thème – dans une première mesure – très vite recouvert par une contre-mélodie jouée par les violons qui en font un nouveau thème. La variation finale, par son rythme accéléré, devrait entraîner les danseurs dans un tourbillon subitement interrompu par la cadence finale très caractéristique de Tanturi : il ajoute une pause entre les deux dernières notes et finit faiblement sur la dernière, une signature subtile qui surprend beaucoup de danseurs.

De nombreuses interprétations dansées de ce tango sont visibles sur le Web. Il figurait d’ailleurs parmi les morceaux sélectionnés pour le Mundial de Tango 2024. Parmi les performances remarquables, celle de Magdalena Gutierrez et Germán Ballejo se distingue par l’élégance de ses mouvements et la précision des syncopes, parfaitement mises en valeur.

Jean-Marie Duprez

Association de Tango Argentin depuis 1992