Corazón – 1939

Música : Carlos Di Sarli –   Letra : Héctor Marcó

Traduction : Michel Brégeon

Version 1939 : orchestre : Carlos Di Sarli –   Chant : Roberto Rufino

Corazón, me estás mintiendo…Mon cœur, tu me mens…
Corazón, ¿por qué lloras?Mon cœur, pourquoi tu pleures ?
No me ves que voy muriendoNe vois-tu pas qu’à ce rythme 
de esta pena a tu compás.Je vais mourir de ce chagrin. 
Si sabés que ya no es mía,Si tu sais qu’elle n’est plus mienne
que a otros brazos se entregó,Qu’à d’autres bras elle s’est livrée,
no desmayes todavía,Ne faiblis pas encore
sé constante como yo.Soit ferme comme moi.
Dame tu latidoDonne-moi ton battement
que yo quiero arrancarCar je veux arracher
esta flor de olvidoCette fleur de l’oubli
que ella ha prendidoQu’elle a accroché 
sobre mi mal.Sur mon mal.
Corazón,Mon cœur
no la llamesNe l’appelle pas
ni le implores,Ne l’implore pas,
que de tus amoresQue de tes amours
nunca has merecidoJamais tu n’as subi 
tanta humillación.Une telle humiliation.
Creo en DiosJe crois en Dieu
y la vida,Et  la vie
con sus vueltas,Avec ses retournements,
sé que de rodillasJe sais qu’à genoux
la traerá a mis puertasElle la ramènera  à ma porte
a pedir perdón.Pour demander pardon.

Versión 1939 :   Orquesta Carlos Di Sarli    Cantor : Roberto Rufino

L’histoire

11 décembre 1939. Le tango est encore en pleine révolution rythmique impulsée quelques années plus tôt par D’Arienzo. Di Sarli, qui vient de reformer son orchestre, s’inscrit encore pour quelque temps dans ce courant lorsqu’il enregistre « Corazón ». Ce qui donne à ce tango une énergie perceptible dès les premières notes.

Di Sarli avait ce tango en tête depuis quelque temps, mais il lui manquait des paroles, un titre… et un chanteur qui ensemble puissent donner corps à sa musique. Le texte et le titre, il va les trouver auprès d’Hector Marco que Cayetano Puglisi venait de lui présenter. Ensemble, dans un bar de Tucuman et Maipu, Di Sarli entreprit Marco d’un tango auquel celui-ci répondit : « il va s’appeler Corazón ».

Mais encore fallait-il trouver un chanteur capable d’interpréter avec toute l’émotion nécessaire les souffrances du cœur humain exprimées dans les paroles de Marco. Or Di Sarli avait rencontré l’année précédente un très jeune chanteur, – Roberto Rufino avait 16 ans – embauché dès qu’il l’avait entendu chanter « Alma de bohemio ». Et c’est à ce tout jeune homme qu’il va confier ce défi.

Cette double collaboration va donner lieu à un tango parmi les plus célèbres de Di Sarli. Ce sera aussi le début d’une fructueuse collaboration avec Marco qui deviendra son parolier emblématique et avec Rufino qui, après ce premier enregistrement, fera 55 enregistrements avec le maestro.

Voilà un tango qui pourra laisser perplexe sur la manière de danser les mesures initiales de la première section (et ses répétitions). Après deux accords introductifs au piano, on est plongé dans un jeu rapide des violons – staccato et à la croche – où on pourrait retrouver l’influence de Fresedo que Di Sarli a fréquenté à ses débuts. Après ces deux premières phrases très rythmiques, les bandonéons développent brièvement la mélodie soutenue par trois syncopes successives (0’17 à 0’21). Particulièrement audibles ici, elles se répéteront à plusieurs endroits. Enfin, la mélodie est rendue aux violons qui terminent la première section.

La seconde section est beaucoup plus mélodique dans ses trois premières phrases puis se termine à nouveau par un passage staccato. On trouve ici l’alternance caractéristique mélodie rythmique – mélodie cantabile – que l’on retrouvera en permanence chez Di Sarli.

Les deux sections suivantes sont dominées par la performance chantée de Rufino à la voix claire et la diction impeccable qui traduit au mieux toute l’émotion des paroles. Si on arrive à s’en détacher, on pourra entendre le marcato caractéristique de Di Sarli avec un appui sur les temps 1 et 3 de chaque mesure, clairement rendu par le jeu magnifique de la contrebasse.

La dernière section reprend l’organisation de la première, mais offre au début un rare solo de violon en contre-mélodie. Ensuite les cordes reprennent la main pour terminer en beauté, sans crescendo ni variation, ce qui, avec les embellissements au piano entre les phrases musicales, est aussi une des marques du style de Di Sarli.

Pour une jolie interprétation dansée de Corazón, on pourra regarder la prestation de Sigrid et Murat à Stuttgart en 2018. On peut y voir clairement dans la dernière section comment danser la contre-mélodie. Prestation de Sigrid & Murat

Il existe une seconde version de Corazón enregistrée en 1955 avec Mario Pomar au chant. Les 15 secondes de plus que dans la version initiale révèlent clairement le ralentissement du tempo que Di Sarli a imprimé à sa musique dès le milieu des années 40.

Jean-Marie Duprez

Association de Tango Argentin depuis 1992